Publié le 24.09.2020
Maître Thibaut PHILIPPON
Droit public
Avocat au Bureau de Nantes 
philipponavocat@outlook.com

Tout fonctionnaire, qu’il fasse l’objet de poursuites ou qu’il s’estime victime peut – sous conditions – solliciter la protection de la collectivité publique qui l’emploie. Les employeurs, syndicats et agents connaissent pour la plupart ce mécanisme de protection dite « fonctionnelle ». Ainsi, il n’est pas rare que les fonctionnaires sollicitent la prise en charge par l’administration, au titre de la protection fonctionnelle, des honoraires d’avocat engagés pour défendre leurs intérêts. Cette possibilité, aussi utile soit elle, ne constitue qu’une protection possible parmi tant d’autres, pourtant largement méconnues. 

Avant de s’intéresser plus en détails aux possibilités offertes par la protection fonctionnelle, il convient déjà d’en rappeler le fondement textuel.

Ainsi, l’article 11 de la Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, Loi dite loi Le Pors, prévoit que la collectivité publique doit accorder sa protection au fonctionnaire faisant l’objet de poursuites pénales ou civiles à raisons « de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions ».

Aux termes du même texte, l’administration est en outre tenue de protéger tout fonctionnaire contre les « atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages » dès lors qu’aucune faute personnelle ne peut par ailleurs lui être imputée. Le juge administratif ne s’estime toutefois pas strictement lié par les qualifications pénales attachées aux comportements susmentionnés (voir notamment : CE 14 décembre 2007, n° 307950 ou TA Nouméa, 31 décembre 1985, T. p. 670) .

Il convient d’ajouter, d’importance, que le bénéfice de la protection fonctionnelle s’étend aux menaces, violences, voies de fait et injures intervenues dans le cadre des fonctions de l’agent mais également dans le cadre d’événements de sa vie privée à raison de son activité professionnelle ou en relation avec les activités exercées (CE, 19 juin 2009, M. Bertrand, n° 323745 ; voir aussi : Conclusions sous Ass, CE, 16 octobre 1970, Epoux Martin, n° 72409 ; CAA Marseille, 16 mars 2020, n° 19MA00027 ; TA Nantes, 11 mars 2009, n° 055568, Brunot : AJFP janv.-févr. 2010, p. 35).

La protection fonctionnelle vise également à assurer la protection de l’agent contre les agissements mettant en cause son intégrité physique mais également celle de ses biens et cela quel que soit l’auteur desdits agissements (CE, Assemblée, 16 octobre 1970, Époux Martin, n° 72409 ; voir aussi : Conclusions du Rapporteur Public Geffray sous CE, 12 mars 2010, Commune de Hoenheim, n°308974).

Ainsi, la jurisprudence administrative a, au gré de sa jurisprudence, continuellement étendu le champ territorial, temporel, et matériel des faits susceptibles d’ouvrir droit à la protection fonctionnelle.

A titre d’exemples, l’administration est notamment tenue[1] d’accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle a un agent :

  • Mis en cause par un collègue (CE, 14 octobre 2009, Mme El Mechat, n°315956T) ;

Une fois accordée, la protection fonctionnelle permet « soit de mettre un terme aux atteintes, soit d’assurer leur réparation (Conclusions du Rapporteur Public Geffray sous CE, 12 mars 2010, Commune de Hoenheim, n°308974).

Cependant, et pour faire échos aux propos introductifs de ce billet, la protection susceptible d’être accordée par la collectivité publique est loin de devoir se limiter à la prise en charge des frais d’avocats non manifestement excessifs engagés par le fonctionnaire bénéficiaire de ladite protection (CAA Marseille, 5 juin 2018, n° 16MA00219)

Ainsi, une demande de protection fonctionnelle peut notamment conduire l’administration :

  • A assister son agent dans le cadre de procédures juridictionnelles (CE, Section, 18 mars 1994, Rimasson, n° 92410) ;
  • A apporter un soutien public à l’agent par des marques de confiance (Conclusions du Rapporteur Public Geffray sous CE, 12 mars 2010, Commune de Hoenheim, n°308974) ;
  • A porter plainte contre les personnes à l’origine des faits justifiant qu’un agent se voie accorder la protection fonctionnelle (CE 25 juillet 2001, Fédération des syndicats généraux de l’Éducation nationale et de la recherche publique, n°210797) ;
  • A prendre des mesures administratives ou disciplinaires à l’encontre des agents à l’origine des faits justifiant le dépôt d’une demande de protection fonctionnelle (CE 21 novembre 1980,  Daoulas, n° 21162) ;
  • A indemniser l’agent en réparation du préjudice moral qu’il a subi (notamment : TA Lyon, 19 mai 1998,  Jarnet, req. no 9500306: Lebon 634) ;
  • A indemniser l’agent de l’ensemble des préjudices non couverts par la règlementation en matière d’accident de service ou de maladie professionnelle (CAA Paris, 4 novembre 1999, n° 97PA02606: Lebon T. 852) .

Il faut encore préciser que la décision d’accorder la protection statutaire : « vaut pour toutes les démarches et actions contentieuses que l’agent peut être conduit à effectuer pour obtenir la réparation des menaces et violences qu’il a subies dans l’exercice de ses fonctions (…) de sorte que l’autorité administrative n’est pas tenue de réitérer son octroi (…) » (Conclusion du Rapporteur Public Pellissier sous CE, 1er octobre 2018, n° 412897).

Ceci posé, il convient en outre d’ajouter que la protection fonctionnelle reste due alors même que :

  • le fonctionnaire concerné n’aurait pas assuré ses fonctions de façon satisfaisante (CE, Section, 24 juin 1977, Deleuse, n°s 93480, 93481 et 93482, p. 294),
  • les critiques formées à l’encontre du fonctionnaire concerné seraient plausibles  (CE, 14 décembre 2007, M. Juhan, n° 307950)
  • les attaques contre le fonctionnaire concerné auraient cessé (CE, 16 décembre 1977, Vincent, p. 507, n°4344). Sur ce point le Rapporteur Public Geffray confirme que : « la protection du fonctionnaire est atemporelle, c’est-à-dire déconnectée d’une situation de fait et de droit à un instant donné, conformément d’ailleurs à la fonction de réparation du préjudice conférée à cette obligation (voir pour une affirmation constante, Section, 18 mars 1994, n° 92410, Rimasson, p. 147 ; 28 nov. 2003, n° 233466, M. Sancerni). La seule limite à cette « permanence » de la protection, est la nécessité pour la collectivité d’apprécier, à la date de la demande de protection, si des démarches adaptées à la nature et à l’importance des faits et agissements évoqués par l’agent sont encore envisageables » (Conclusions de M. Geffray sous CE, 12 mars 2010, Commune de Hoenheim, n°308974) 
  • le fonctionnaire concerné serait mis en cause par un collègue (CE, 14 octobre 2009, El Mechat, n° 315956).

Finalement, lorsque les conditions sont remplies, l’administration ne peut refuser l’octroi d’une demande de protection fonctionnelle que s’il existe une faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions de l’agent civilement ou pénalement poursuivi ou si des motifs d’intérêts généraux le justifient (voir : article 11 de la Loi dite loi Le Pors ; CE, Assemblée, 14 février 1975, Teitgen, n°87730, p. 111 ; CE, 23 décembre 2009, Genin, n° 308160 ; CE, 31 mars 2010, Ville de Paris, n°318710).

Bien sûr l’administration peut également, conformément aux articles L. 242-1 et L. 242-2 du Code des relations entre le public et l’administration, retirer dans un délai de quatre mois une décision illégale d’octroi d’une demande de protection fonctionnelle ou procéder sans conditions de délais à son abrogation lorsque les conditions pour y prétendre ne sont plus remplies.

[1] Sauf à se prévaloir de motifs d’intérêts généraux ou d’une faute personnelle de l’agent.